Je dors mal ces derniers temps.  Depuis mon réveil après l’incendie, le sommeil n’est plus mon ami.  Il n’est plus celui de Sofia non plus d’ailleurs.  Ses nuits sont agitées, je sais qu’elle fait beaucoup de cauchemars.  Qui n’en ferait pas dans de telles circonstances ?  Je vous rassure, j’ai ma part aussi.  Sauf que je le cache mieux.  Je dois rester fort, pour elle… Tenir le coup pour nous deux.  Si je m’écroule, qui la soutiendra ?  Mais tous les jours je pense, des questions me hantent et je crois qu’elle me hanteront jusqu’à la fin de ma vie.  Comment aurait été cet enfant ?  Qu’est-ce qu’il aurait aimé ?  Quels auraient été ses points d’intérêt ?  Quel destin lui aurait-il été réservé s’il avait vécu ?  On ne saura jamais, on doit faire le deuil d’un enfant qu’on n’a jamais connu, qu’on n’a jamais pu serrer dans nos bras et qui ne nous a jamais souris.

J’aimerais que Sofia tombe à nouveau enceinte sans tarder.  Elle est comme moi, perdue dans ses pensées sombres.  Une nouvelle grossesse lui donnerait matière à sourire au moins, pendant que son esprit serait préoccupé par cet enfant à naître, elle ne penserait plus au premier qu’on a perdu, ça l’aiderait à avancer, à laisser hier derrière nous et à privilégier demain.  Ce matin elle s’est encore réveillée dans un sursaut.  J’ai fait semblant de dormir et j’ai attendu qu’elle quitte la chambre pour me redresser à mon tour dans le lit.  On est en train de traverser une période terriblement difficile et tout le monde nous dit qu’il n’y a que deux possibilités : Ca va soit briser notre couple, soit le rendre plus fort.  Je vais vous avouer que pour moi, il est hors de question d’imaginer un seul instant perdre Sofia.  C’est la femme de ma vie, celle avec qui je veux vieillir et fonder ma famille.  Elle est mon monde et sans elle, il s’écroule, tout simplement.

Je me lève, me glisse sous la douche rapidement et ensuite je descends pour rejoindre ma fiancée.  Au premier coup d’oeil je vois qu’elle a pleuré.  Ca me brise le coeur… Et je me sens totalement impuissant à alléger sa peine.  Que lui dire qui n’ait déjà été dit ?  Que faire qui n’ait déjà été fait ?  Alors je lui offre un sourire et vis m’asseoir à ses côtés pour pouvoir la prendre dans mes bras.  Au moins elle n’est pas seule.  Nous restons ainsi de longues minutes et je pose un baiser sur le haut de sa tête juste avant qu’elle ne prenne la parole.  J’accueille son baiser et lui souris à nouveau, les doigts glissant sur sa joue humide.


Oh non, tu ne m’as pas réveillé… Tout est la faute de mon horloge interne !


Pieux mensonge… Enfin à moitié.  J’étais déjà réveillé quand elle a émergé de son cauchemar.  J’écarte presque distraitement une mèche de cheveux pour la replacer derrière son oreille.  On ne peut pas rester comme ça n’est-ce pas ?  Inactifs, vides, sans but…  Ca ne nous ressemble pas.


Tu sais je…  Je me disais qu’on devrait peut être reparler du mariage ?  Commencer à planifier tout ça.  C’est le genre de chose qui prend du temps et j’en aurai moins quand je reprendrai le travail.  Autant en profiter non ?

Penser à l’avenir, vivre pour lui. C’est ma façon de faire, ça l’a toujours été. C’est comme ça que j’ai réussi à m’en sortir après la mort de mes parents et de ma petite soeur, parce que j’ai décidé que la vie devait primer sur la mort, que j’étais vivant quoiqu’il en soit et que je devais songer aux jours qui arrivaient plus qu’à ceux qui sont passés. Je sais, c’est bien plus facile à dire qu’à faire et je suppose que certaines personnes sont plus « douées » pour appliquer cette philosophie que d’autres. En tout cas j’y crois, je sais que c’est la bonne voie à suivre et je suis certain que Sofia a besoin que je l’aide à prendre ce chemin. Je ne laisserai pas tomber pour le bébé… Je sais qu’elle le sait, je la pousserai toujours à retomber enceinte. Mais pour l’aider à reprendre du poil de la bête, quoi de plus agréable qu’un mariage ? Je trouve qu’on a assez repoussé le nôtre, deux ans de fiançailles c’est bien assez suffisant.

Mais alors que je lui parle mariage, voilà que Sofia me parle bébé… Si elle retombe enceinte ? Ca veut dire qu’elle l’envisage, non ? Enfin je vois bien qu’elle regrette immédiatement ce qu’elle vient de dire, il n’empêche que ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Vous pensez bien que je ne vais pas faire la connerie de sauter sur l’occasion pour à nouveau insister, c’est inutile, tant que la graine est semée, je vais la laisser murir et je crois que les choses se feront le plus naturellement du monde. En préparant le mariage, un événement heureux, je suis certain que l’envie d’encore plus de bonheur la surprendra.


Bah si tu tombes enceinte… Tu ne seras pas la première mariée avec un baby bump ma chérie !


Voilà, je suis resté soft, je n’ai pas insisté et me suis contenté de répondre à son appréhension. Parce que clairement, ça ne me dérangerait absolument pas de l’épouser pendant qu’elle porte notre enfant. Ca serait même mignon, non ? C’est de ça qu’on a besoin, de discussions agréables, de beaux projets à mettre en oeuvre. J’en suis de plus en plus persuadé. Mais l’idée de me voir reprendre le travail semble perturber Sofia. Pourtant, ce n’est pas quand j’étais en service que l’accident a eu lieu… Je n’ai jamais été blessé au travail, on est une bonne équipe, on fonctionne bien ensemble.


Ca ne sera pas pour tout de suite, mes poumons doivent être totalement régénérés d’après le doc. Ne t’en fais pas, tu me trouveras encore à la maison un bon moment.


Je sais qu’elle voudrait que j’arrête, mais c’est mon métier, et j’aime ce que je fais. Je me sens utile et puis… Quand vous sauvez des vies, le sentiment est vraiment génial. Sans parler des liens qui se forment entre les gars de l’équipe. On devient presque des frères et ça aussi c’est quelque chose qui me manquerait trop. Je serre sa main dans la mienne. Je sais que ça ne va pas la rassurer mais à ce niveau là malheureusement je ne peux rien faire. Mon métier n’est pas sans risque… Mais quand on y pense, y’en a pas mal des métiers risqués, auxquels on ne pense pas forcément. Un chauffeur routier peut avoir un accident mortel à tout moment, un bijoutier ou un banquier peut se faire braquer, sans parler des policiers.


Tu sais quoi ? On va prendre un bon petit déjeuner, trouver une date et lancer tout ça.


Et pour faire disparaitre définitivement son petit air inquiet, je me levais, l’emportant avec moi dans mes bras.


Allez, hop !

Mission accomplie, Sofia a sourit. Ca fait du bien… Surtout qu’elle a un si joli sourire. C’est ce qui m’avait frappé la première fois que je l’ai vue. Elle parlait avec une de ses amies et souriait. Je me suis carrément arrêté sur place, fasciné par cette vision. J’ai dû avoir l’air stupide parce que je suis resté planté là un bon moment avec l’air d’avoir vu la sainte vierge ! C’était le coup de foudre et je peux vous dire que je ne m’en suis jamais remis, pour mon plus grand bonheur. Il m’avait manqué, son sourire, et je suis heureux de pouvoir le retrouver. Maintenant je dois faire en sorte qu’elle le perde le moins souvent possible. Prendre soin des gens, c’est quelque chose que j’aime faire et que je fais plutôt bien.


Il va falloir que ça change, femme !


Je rigole, elle sait très bien que ce n’est pas du tout le genre de chose qui m’embête ! Moi un bol de céréales et je suis content. Je suis un mec facile à vivre et pas macho pour un sou... C'est pas ça qui fait la virilité d'un homme si vous voulez mon avis. D'ailleurs, je sais cuisiner et ça ne me dérange absolument pas de me mettre derrière les fourneaux ! Surtout ces derniers temps. Ca me semble logique, je ne travaille pas et Sofia cumule ses études et un job de serveuse. J'ai déjà essayé de lui dire qu'elle n'avait pas à travailler pour payer ses études mais vu comment je me suis vu envoyé sur les roses, je n'ai pas insisté... Question de fierté sans doute, elle ne veut pas dépendre de qui que ce soit et je respecte ça. Les bras de Sofia s’enroulent autour de moi et nous nous embrassons. Un long moment dont je savoure chaque seconde. Je la serre contre moi, heureux de retrouver ces moments de complicité. Sa nouvelle remarque me fait sourire. Je sais qu’elle s’est beaucoup inquiétée pour moi quand j’étais dans le coma. Elle a été longtemps dans l’incertitude et ça a dû être atroce. A sa place, je crois bien que je serais devenu totalement cinglé.


Y’a des tas d’autres choses que je fais toujours aussi bien tu sais…


Je hausse un sourcil amusé et continue d’avancer vers la cuisine tout en la portant. C’est à ce moment là qu’un rival fait son apparition. Un rival qui sait affirmer sa présence ! Un petit aboiement me fait baisser les yeux et je tombe sur cette boule de poils qui agite la queue d’un air de dire « Hey ! Je suis là ! ». J’adore ce chien, Sofia a vraiment bien fait de l’adopter. Ca faisait un petit moment que j’avais envie d’en avoir un mais on n’avait jamais concrétisé ça. Quand je suis revenu de la clinique, il était là, petite boule de poils rousse et blanche, c’était une très bonne surprise.


Ou alors il a besoin de sortir ! C’est ça que tu veux Yoda ? Tu veux aller faire ta balade ?


Genre… Il va me répondre, hein ? Mais bon, avec les animaux on a toujours tendance à agir comme si c’était des gosses ! On gagatise quoi… Remarquez, il me répond à sa façon, puisqu’un nouvel aboiement suit ma question.


Ca doit vouloir dire oui !


Je hausse les épaules avec un sourire et pose un nouveau baiser sur les lèvres de ma fiancée.


Je vais l’emmener faire ses besoins. Tu veux que je te ramène quelque chose ?