Ça ne fait que quelque jours que tu es ici et tu as déjà fait le tour de la ville. C'est vrai, elle est plutôt petite et sûrement ridicule. Seulement ici, il y a quelque chose qui se dégage, un peu de chaleur, un peu de beauté et dans l'air, tu peux sentir l'odeur des fleurs. Alors tu te balades, ici et là, là-bas puis de ce côté. Tu prends des photos, tu vagabondes tout seul pour te donner un peu de force. Tu sais qu'elle est ici, tu sais qu'elle étudie, mais tu ne sais pas vraiment son adresse. Tu te poses encore la question de savoir si oui ou non tu vas la rencontrer. Puis qui sait, elle t'a sûrement oublié. Tu soupires. T'as pas envie qu'elle ait oublié, ça serait la fin. Sans Eliott, comment retrouver les sensations d'antan ? Tu prenais une photo de ce joli chien, errant, seul. T'aimerais lui tenir compagnie, il avait l'air affamé, tu finissais par le caresser, le chatouiller, jouer avec. T'esquissais un sourire. Puis tu voyais l'épicerie, tu te disais que t'allais faire une bonne action. Les animaux n'ont pas le droit de souffrir, ils méritent l'amour du monde. Déterminé, t'entrais dans ce magasin. Tu voulais prendre quelques croquettes, puis tu réfléchissais, tu te disais que peut-être tu pouvais le prendre avec toi. Alors ouais, c'était pas forcément une bonne décision mais ça te ferait un peu de compagnie. Tu repensais à ton chien durant ton enfance, il te manquait Noche. Et celui-ci, tu lui donnerais quel prénom ? Aucune idée. T'espérais qu'il y ait des croquettes. Un bruit sourd, parce que oui, l'épicerie était petite. Un bruit sourd, des cheveux roux, ses yeux sur toi, son teint pâle et ses joues rose coup de foudre. Tu savais pas, t'étais bloqué dans ton élan. Elle était là, devant toi, tu savais, tu la voyais, tu savais plus, tu ne voulais plus. "Merde". Oui, c'était compliqué. Et tu bloquais le passage, une vieille dame ne tardait pas à te le faire remarquer. Tu devais bouger, mais tu la voyais, là. Et t'avais envie de sourire ou de t'enfuir. Rester, la prendre dans tes bras. Partir, quitter la ville. T'oubliais les croquettes, t'oubliais le pourquoi du comment. T'oubliais. Tu t'oubliais. La mamie finissait par râler, alors tu bougeais légèrement sur le côté. Finalement, pris au dépourvu, même si dans le fond c'était plus simple de la croiser et de l'aborder, tu préférais fuir. La porte dégageait, tu la repoussais pour partir loin d'ici, loin d'elle. T'avais mal au ventre, t'avais envie de vomir. C'était le passé, elle faisait plus partie de ta vie, tu ne faisais plus parti de la sienne. Et pourtant, pourtant elle t'as remarqué. Tu passes une main sur ton visage, t'es perdu. Tu dois l'attendre ? Tu ne sais pas, tu commençais à marcher d'autant plus vite jusqu'au rappel à l'ordre. Un aboiement. Tu n'allais pas abandonner ton nouvel ami. Tu n'allais pas la fuir alors que tu étais venu ici, pour elle, juste pour ses cheveux de feu. A cet instant, tu te détestais, plus que jamais.

Tu savais pas, tu savais plus, peut-être que tu n'avais jamais su. Le coeur flottant, l'esprit divaguant, t'entendais les aboiements du chien, tu le voyais s'approcher. T'entendais ton prénom, tu voyais un feu sous tes yeux, il encerclait ton esprit, ton cou de ses petites flammes tremblantes. Le timbre de sa voix t'avais immobilisé, elle n'avait pas changé. De son ton enfantin, joyeux, amoureux et heureux. Elle avait le rire dans la voix, le silence qui raisonne. Tu ne bougeais pas, ni tes bras, ni tes cils. T'étais venue la chercher, pourquoi tu te sens bien plus absent que présent ? Encore une question sans réponse, parce que tu n'avais peut-être pas pensé que tu allais devoir parler. Depuis quelques années, tu n'avais jamais été très doué avec les mots. Ni avec les gestes. T'avais ta belle gueule à toi et puis c'est tout. Elle s'éloignait, elle te regardait, mais t'avais le brouillard tatoué dans la rétine. Si t'étais une autre personne, tu aurais sûrement pleuré, tu l'aurais serré dans tes bras, tu l'aurais senti, tout contre toi, tu lui aurais dit "c'est pas grave, je m'en fiche, je suis là, on est là, tu m'as manqué, tu vas bien ? souris, ne sois pas triste eliott, tout va bien". Mais t'étais pas cette personne, tu restais stoïque, immobile. Tu ne la voyais pas, peut-être parce que dans tes pensées tu croyais tout contrôler sur le moment de rencontre. Pas dans l'inconnu, l'invisible, les émotions, pas dans cette partie toi qui fait mal. Et elle, c'est elle qui te rend comme ça. T'as envie de la serrer, mais t'as envie de partir. Tu sens le chien caresser ton mollet, un signe de réconfort, de force, d'amitié. Tu relevais la tête, tu l'éloignais de toi, de ton corps. Et là, tu voyais ses yeux bleus, sa jolie bouche rosée, ton grain de beauté. Tu voyais cette peur sur ses traits, cette mèche qui semblait s'échapper. Tu voyais ce corps, aussi frêle et fragile qu'autrefois. Sa chevelue étrange, ses petites tâches sur son visage. Tu la voyais, entière, toujours aussi belle. Tu la voyais. Rayonnante bien que ses joues étaient humide. Tu ne voulais pas lui faire mal, pas à elle, pas comme ça, Eliott, l'ange de ton passé. Tu amenais ta main, du bout des doigts t'essuyais l'eau salé sur sa peau porcelaine. Tu respirais bruyamment. Toi aussi t'étais désolé, toi aussi tu voulais la prendre dans tes bras. Tu cherchais des mots, quelque chose de joli, quelque chose qui donne du baume au coeur. Tu voulais dire les mots qui pansent les plaies, tu voulais être cette personne pour elle. Comment se sentait-elle ? Elle était partie après le décès de sa mère après tout. Est-ce que tout allait bien ? Tu ne savais pas, et tu préférais ne pas savoir, pas tout de suite. Tu soufflais, tu te grattais la nuque. Ce qui semblait être des heures n'était que des minutes, si ce n'est des secondes. "Je.." Oui, c'est bien, continue Léo. Tu peux le faire, vas-y, n'ai pas peur. "Je suis content de te voir." Mais tu n'esquissais pas plus qu'un demi sourire à demi teinte, à demi mort, à demi joyeux. Quelque chose qui ressemblait au Léo d'aujourd'hui et à l'enfant de tes souvenirs.