Il y a des autres qui nous touchent plus que d'autres, sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque.

Onze janvier mil neuf cent quatre vint treize, la femme regarde sa collègue, la mine attristé. Elle a de la peine et du dégout dans les yeux. « Elle a gâché sa vie cette petite. » L'autre femme la regarde, avant de poursuivre. « Ne dit pas n'importe quoi Janine. Elle est quasiment majeure, et puis elle garde le bébé au moins. On ne peut rien y faire de toute façon. » Elles continuent leurs discutions, à critiquer la nouvelle mode de la maternité pendant la jeunesse, lorsque le bip d'appel retentira dans la maternité de Siloam Spring. La petite, elle va accoucher. Janine court dans la salle de naissance, la petite Rosendale hurle à pleins poumons, elle a mal, elle veut pas devenir mère mais elle a pas de choix, une connerie à assumer. Le père est là. Des cris se font retentir, des cris de bébés. Mes poumons respirent enfin l'air de la planète, l'oxygène, je suis en vie. « Albane... » la petite Rosendale vient de me donner une identité. Elle regarde par la fenêtre, avant qu'une sage femme me pose sur sa poitrine. Elle me sourit, elle a les larmes aux yeux, elle est heureuse. « Albane Neige... mon bébé... bienvenue sur terre. » Elle continue de pleurer, de joie, mais aussi de tristesse, d'angoisse. Elle donne de l'amour. Elle me donne de l'amour.


Jouant dans le salon avec Patapond le chat, j'entends le téléphone sonner. Ma grand-mère maternelle va répondre, et arrive vers moi les larmes aux yeux, avec un immense sourire. Je sais que maman est à l'hôpital, mais je ne sais pas pourquoi mamie est heureuse. « Mon petit ange, tu es devenue grande soeur ! » Hein ? Quoi ? Du haut de mes quatre ans, ne me rendant pas compte de la chance que je viens d'avoir, des larmes se mettent à couler le long de mes joues. Maman me remplace par un bébé ? Et elle m'aime encore ? Mamie me réconforte, et nous allons à la maternité pour voir maman, et le bébé. [...] Je reste assise au fond de l’ascenseur, les larmes aux yeux. Je ne veux pas aller voir le bébé, et mamie s'énerve. Elle me dit que je ne suis qu'une petite égoïste. Mais moi j'ai juste peur, et je ne comprend pas. Elle me prend dans ses bras, et me met une petite fessée, et nous partons rejoindre maman dans sa chambre. Mamie ouvre la porte, et m'assoie sur le lit à côté de maman et du bébé. Je jette un coup d'oeil dans le berceau. C'est moche un bébé. C'est fripé, et ça sent pas bon. Mais celui là est différent. Je le trouve beau. « Ma petite chérie... je te présente Chloris. C'est ta petite soeur. » Je souris, pour bien faire. Mais mon sourire n'est pas sincère, non je ne suis pas heureuse. Pourquoi ne m'a-t-on pas prévenu de l'arrivée d'une petite soeur ?


Doréa me regarde, l'air pensive. Depuis quelques temps, elle est bizarre, et semble douter de ma franchise. Me tressant les cheveux, je relève la tête lorsque j'entends sa voix. « T'es en couple avec Levi ? Allez avoue, Albane. Je pige que dalle moi. » Pendant un instant, je manque de m'étouffer. Moi ? Levi ? Je rigole un instant. C'est juste un voisin. Ou peut-être un ami. Ou un meilleur ami. Et peut-être bien aussi qu'on s'est embrassé à plusieurs reprises. Mais en rien cela ne fait de lui mon petit ami... Je regarde mon amie, un peu gênée par la situation, et surtout, confuse. « Non pas du tout. C'est un ami, enfin un peu plus mais on est pas ensemble, je te promet. » Doréa hausse les épaules, montrant très bien qu'elle ne me croit absolument pas. Mais que lui dire de plus ? De toute façon, c'est la pure vérité, du moins officiellement. Je ne sais pas ce que c'est réellement au fond de moi même, mais je crois que je n'ai pas envie de le savoir. Comment différencier l'amour dans l'amitié et l'amour, le véritable ?


Chiffon sur le nez, je fonce à nouveau dans la maison en flamme. Maman n'arrive pas à sortir, et je sais déjà au fond de moi qu'elle n'est plus parmi-nous. Papa n'est plus là lui aussi. Mon visage est sombre, sombre de fumée, sombre de sentiment, sombre de deuil. Je monte au premier étage, sans même penser que je ne redescendrais même pas. Chloris est devant Bérénice, notre petite sœur d'à peine huit ans, qui est coincé sous son armoire. Au fond de moi, je sais très bien qu'elle ne s'en sortira pas. Elle est petite, ses poumons sont tellement immatures, tellement fragiles. J'aperçois des larmes coulés le long de ses joues, et je me tourne vers ma première petite soeur. A travers le bruit des craquements de bois, je peine à me faire entendre. « Chloris vient ! Aller bordel ! » Des larmes se mettent à couler sur mes joues, je tousse une fois, puis deux et attrape le bras de ma soeur pour l'entrainer avec moi à l'extérieur de la maison. Elle se débat, elle hurle, me crie qu'elle ne veut pas laisser Bérénice. Et je pars. Les larmes aux yeux, en laissant mes deux soeurs parmi les flammes je les abandonne. J'apprendrais plus tard que mon instinct de survis à simplement pris le dessus sur mes sentiments.


Assise derrière la table d'autographe, je pense soudainement à mes sœurs en voyant la petite fille arriver vers moi avec son livre. Un an s'est écoulé depuis l'incendie. Bérénice est décédé. Nos parents aussi. Chloris elle, a survécu. Mais notre relation elle, est partie totalement en fumée, et l'expression convient tant au sens propre, tant au sens figuré. Moi depuis, j'ai essayé de me reconstruire. Je vois même un psychologue, qui me dit que je vais bien, mais je continue malgré tout à le voir. Comme pour me rassurer sans doute. J'ai acheté un appartement dans le centre ville, avec l'héritage de maman. Dit comme ça, ça peut paraitre égoïste. Finalement, ma grand mère avait-elle raison ? Suis-je égoïste ? Je ne pense pas, je pense seulement qu'il faut avancer. Mais dieu sait si c'est compliqué après un tel drame. La petite blonde me sort de mes pensées. « Bonzour madame, je peuz'avoir un tographe de toi ? » Je lui souris, et attrape son livre, le tome un de ma collection, et je lui signe avant de lui rendre. Je vois des étoiles briller dans ses yeux, et je me rend compte que c'est exactement pour ça que j'ai souhaité écrire des livres pour jeunes enfants. Pour les rendre heureux, pour voir l'espoir et la joie dans leur yeux. Alors que ces sentiments sont impossibles à atteindre chez moi. Mais bon peut importe, j'ai espoir. Mais j'ai peur aussi, peur de l'avenir. Mais comme le président Snow a dit, l'espoir est la seule chose plus forte que la peur elle même. Alors j'y crois. J'y crois, simplement.