Je n’ai jamais souhaité savoir ce que les gens pensaient de moi. Ce n’est pas de l’orgueil et encore moins de la prétention, mais il est vrai que connaître l’avis de X sur ma façon d’être, sur mon caractère voire même sur ma façon de m’habiller ne m’a jamais intéressé. Après tout, à quoi bon s’inquiéter du regard des autres si l’on se sent bien dans son corps et dans sa tête ? Bullshit. J’ai peine à voir le monde d’aujourd’hui vous savez, j’ai peine à voir que la mentalité humaine s’attache trop facilement à son passé et à ce qu’elle connaît déjà. La nouveauté, l’innovation, ce qui change de notre quotidien à mourir d’ennui, ça fait peur, ça vous effraie tous. Alors vous préférez rester silencieux, suivre du regard l’évolution d’un événement qui vous concerne, qui nous concerne tous. De quoi je parle ? Je parle de tout, de rien. Je parle de cette nature que l’on détruit avec égoïsme, je parle de ces gens que l’on chasse alors qu’ils essayent de se réfugier, de trouver la paix et la sérénité. Je parle de cette foule quotidienne qui côtoie la même ligne de métro et qui n’aura pas su intervenir entre cette jeune femme et ses deux agresseurs. Le résultat de tout cela ? Une terre qui se meurt, une terre que l’on ne guérit pas. De la haine envers l’autre, des déceptions, des désillusions incessantes. Un meurtre, un viol, un choc, une vie brisée.

Je n’ai jamais souhaité savoir ce que les gens pensaient de moi tout simplement parce que cela ne m’a jamais intéressé. Tout simplement parce que je ne veux pas leur laisser se plaisir de me juger sans me connaître. Mais dans ce monde pourri, critiquer c’est comme une seconde nature. On l’a tous fait et on le fera encore, inconsciemment, sans vouloir blesser, sans vouloir causer du tort mais encore une fois, on se trompe. Vivre en société, ça s’apprend et sachez qu’aucun de nous n’est maître en la matière et personne ne le sera probablement un jour.

Je n’ai jamais souhaité savoir ce que les gens pensaient de moi parce que je savais pertinemment que cela ne me servirait à rien. Jusqu’à aujourd’hui.  

Vous savez ce qu’il y a de pire pour un mec dans mon genre ? Devoir participer quotidiennement à la vie familiale des Löwenhielm ou ce que je devrais plus communément appeler : ma merveilleuse famille. Pour faire simple et rapide, je suis l’avant dernier enfant d’une fratrie de cinq. Nous sommes tous nés en Suède, à Stockholm ou à Göteborg, nous sommes tous de bons vivants, nous aimons tous la vodka, le froid ne nous dérange absolument pas et nous parlons tous un minimum de trois langues. Mon plus grand frère, Elias, finit actuellement des études dans la politique, mes deux sœurs jumelles, Karoline et Ebba ont pris deux chemins différents puisque la première fait des études dans la littérature britannique et la deuxième continue de nous étonner en fac de médecine. Mon petit frère, Ludwig, est en troisième année d’architecture pour le plus grand bonheur de mes parents. En résumé nous sommes tous des enfants intelligents aux centres d’intérêts bien diverses. Et contrairement à mes autres sœurs et frères, je n’ai jamais souhaité faire éternellement ma vie avec eux. Débuter l’université a toujours été pour moi –et pour beaucoup d’autres étudiants- synonyme de liberté. Les discussions ont été vives et mouvementées, mon choix de vie en solitaire n’a pas plu à la grande majorité de ma famille mais… ils ont finalement accepté de me laisser partir. Je sais que je leur manquerai, c’est une évidence, mais à quoi bon me torturer d’avantage hein ? Nous ne serons pas éternellement ensemble.  

Evidemment, ma liberté ne s’est pas faite sans conditions. Là c’est le moment où vous êtes censés imaginer la scène. Très bien. Imaginez un grand monsieur frôlant les 1m90, blond, un regard bleu perçant, pâle (non je ne vous décris pas un autre membre de la famille Cullen), avec une belle voix roque scandinave et à l’accent anglais douteux. Vous visualisez le bonhomme ? Parfait, ce gars c’est mon père, Marcus Dimitri Löwenhielm. Maintenant, imaginez une grande brune (on est tous grands dans ma famille, oui oui), des yeux noirs comme le charbon, une peau aussi pâle que celle de son mari, des longs cheveux ondulés, possédant un goût certain pour s’habiller. C’est dame, cette lady, c’est ma mère, Karoline Juliet Löwenhielm. Imaginez ce couple planté devant vous, le regard incertain et les bras croisés. Imaginez les tenir ce discours rébarbatif :  « Vivre seul ne veut pas dire que tu pourras faire n’importe quoi. Sache que nous aurons toujours un œil sur toi, tes résultats scolaires et ton comportement. N’oublie pas que ta mère, tes frères et tes sœurs fréquentent également l’université et qu’ils seront immédiatement au courant de tes moindres faux pas. »

Je vous épargne le reste de ce discours façon « fais pas ci, fais pas ça » commun à tout jeune adulte cherchant à quitter le nid familial. La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que je n’aurais plus à subir les chamailleries incessantes de mes sœurs. La mauvaise, c’est qu’il me faut un toit. Et même si l’idée d’avoir ma propre vie m’enchante totalement, je refuse de faire impasse sur une colocation qui pour moi symbolise les B A BA d’une vie étudiante réussie. Bien-sûr, comme tout le monde j’ai mes fantasmes. J’aimerais être le seul garçon parmi une collection de filles, j’aimerais un lieu moderne où chacun pourrait laisser son empreinte, j’aimerais de la rigolade, du danger, de la folie, du surnaturel.

Et c’est là qu’on arrive aux choses sérieuses. Je n’ai jamais souhaité savoir ce que les gens pensaient de moi, c’est vrai. Pourtant, pour qu’une collocation fonctionne dans les règles de l’art, il faut savoir se vendre, refouler ses défauts, mettre en avant ses qualités et posséder ce petit plus qui fera dire à la personne « c’est lui que je veux ! » Mieux qu’un entretien d’embauche, un entretien de collocation… Nous serons des dizaines, des centaines mais final… Il n’en restera qu’un… Que la première édition des Roommate Games commence !

J’imagine que tout entretien pour une future collocation commence par des présentations. Il y a trop de choses que j’aimerais dire alors je pense que j’irai probablement à l’essentiel :

« Alors moi c’est Cole Löwenhielm, je sais j’ai un nom de famille qui effraie et très souvent les gens me demandent comment le prononcer. Mais entre nous, je préfère jouer au sadique et les laisser se débrouiller tout seul. Tu (imaginons que je tutoie mon potentiel coloc) l’as sans doute remarqué, j’ai des origines nordiques. Je suis suédois et je suis né à Göteborg là où il fait plus chaud qu’à Stockholm et bien-sûr toute ma famille est suédoise.

Je fais des études dans la zoologie, ce qui ne fait pas de moi un zoophile bien évidemment. On va dire que j’ai un très bon feeling avec les animaux, qu’ils soient petits, grands, velus, gluants, froids, doux, plumés, poilus, écaillés et j’en passe. Je dois avouer que j’ignore assez quel métier exact j’aimerais exercer plus tard, mais tant que ça me rapproche des bêtes on va dire que ça me convient parfaitement ! J’imagine que tu te poses une question importante : « Possèdes-tu un animal domestique ? » Non, pas encore mais je dois t’avouer que j’ai toujours été accompagné d’un chien et j’imagine que ça m’arrivera encore.

Est-ce que je fume ? Oui. Est-ce que je bois ? Oui. Est-ce que j’ai déjà touché à des produits illicites ? Oui. Est-ce que je suis un fêtard ? Oui, comme tu as pu le deviner, même si je ne compte pas imposer des soirées improvisées dans notre joli chez-nous. Est-ce que je ramène des filles à la maison ? Ca m’arrive, mais elles seront probablement parties avant de que tu n’ouvres les yeux. Est-ce que je sais cuisiner ? Commander une pizza ça compte non ? Est-ce que je sais faire le ménage ? Je me débrouille plutôt bien. Est-ce que je suis bordélique ? Je suis un garçon, ça répond à ta question ? Comment je vois la collocation ? Du fun, des amitiés qui ne peuvent pas se briser, de la solidarité (surtout pour ce qui est de faire la vaisselle, je suis pas l’as de l’éponge et du liquide vaisselle)

Mes défauts ? Je suis quelqu’un de déterminé, peut-être un peu trop. On dit de moi que je suis colérique, un peu trop excentrique et que souvent je ne sais pas m’arrêter. Je suis un solitaire, qui refuse qu’on lui dicte quelle vie mener. Je ne connais pas de limites et je refuse de m’arrêter de vivre pour mes études (mais je te rassure, je suis plutôt doué dans ce que je fais !)

Mes qualités ? Je suis souvent d’humeur joyeux, je suis également ouvert d’esprit et il n’y pas plus positif que moi. Malgré les apparences, il semblerait que je suis une oreille attentive pour mes amis (j’ai autant de mal à le croire que toi !) et j’ai également le sens de la justice.

Des choses importantes à savoir : Je souffre d’une maladie au nom merdique. Mais en résumé, je ne ressens aucune douleur physique. On peut me frapper, m’arracher une dent, me poignarder, c’est comme si cela ne me faisait rien. Lorsque j’étais petit, je suis tombé dans les escaliers. Bien-sûr, je ne ressentais aucune souffrance mais j’ai été obligé de me rendre à l’hôpital où l’on m’a diagnostiqué un traumatisme crânien. En fait, c’est une maladie merdique qui m’oblige à être attentif au moindre geste que je fais. C’est une maladie merdique, qui dissimule les pires choses que le corps humain peut supporter.

Je pense avoir tout dit mais bien évidemment je reste disponible pour toutes informations complémentaires. Tu veux mon mail ? Mon 06 ? »

Si mon futur coloc s’était avéré être une femme, j’aurais probablement conclu ma présentation par un clin d’œil. Malheureusement pour moi, il s’agit d’un homme. Un certain Milo Harkness… Si vous voulez mon avis, c’est un nom à coucher dehors. Comment je l’imagine ? Gay. Collectionneur de peluche Disney et vénérant les boys band anglais. Ou bien non, peut-être ai-je totalement tort. Peut-être sera-t-il grand, fort, barbu, amateur de métal, de piercings loufoques, d’habits sombres et de dépression à n’en plus finir… Ou alors il sera chiant, un petit duc d’Angleterre maniéré, déshérité et imbu de lui-même. M’ouais. Je sais pas. On verra bien.