Encore et toujours le même scénario. Regarder, écouter, entendre, percer l'obscurité de la pièce, faire la sourde oreille à la musique d'ambiance, électrique, trop forte, repérer, voir les bouches parler, les pieds danser, les cheveux voler, les femmes rire, les mains glisser sur les tailles. C'est esquiver des corps, frôler légèrement quand on passe, faire des sourires à celles qui vous regardent, et planter ses yeux dans les leur. Les doigts s'avancent, quémandent une boisson aphrodisiaque, la poussent vers une inconnue qui bientôt ne le sera plus. Elle vous regarde et vous la regardez, sa bouche se mue en une moue timide, un rire nerveux s'échappe, et ca excite, ca attire. Les dents surgissent derrière les lèvres, les mots coulent en un flot joyeux tandis que vous la prevenez que cette vodka, c'est pour elle, que vous avez payé, qu'elle ne vous doit rien, par d'argent en tout cas. Là ou le scénario change, c'est quand l'impulsion vous berce, que vous oubliez que vous êtes un machiavélique individu attiré par ses courbes, et que vous lui révélez ce que vous voulez faire. Ca arrive après trois ou quatre verres, quand la proie est devenue sans défense, hilare, saoule. Il aurait pu s'arrêter là, lui promettre monts et merveilles mais il n'a pas envie. Il n'est qu'un homme, elle n'est qu'une femme, et ils sont dans un bar, a quoi pourrait-on s'attendre d'autre ? Il n'a pas envie d'inventer, il est fatigué. Cela fait quelques jours qu'il n'a pas touché à ca, et ça lui manque. Vraiment.

Seth ouvre les yeux. Il reconnaît. Il est passé devant la librairie, mais il ne voulait pas rentrer, ce n'était pas son objectif. Alors il reste devant la vitrine quelques minutes, observe la jeune femme tourner et tourner entre ses livres. Il ne veut pas qu'elle le voit, alors il se détourne. Il a été clair sur ses intentions, et elle a accepté les termes du contrat. D'ailleurs, il n'a pas envie de lui parler. Des filles, il en court plein à Siloam Spring, et depuis son retour en ville, il n'a pu que constater l'arrivée de nouvelles habitantes. Surtout quand il passe sur son ancien lieu de travail, et ce, même si les étudiantes ont déserté les jardins, l'automne et le froid s'étant peu à peu installé sur cette région des Etats-Unis.

Seth ferme les yeux. Il soupire. Encore. Mais cette fois ce n'est pas de sa faute. Elle était là elle aussi, il n'a pas cherché. Il ne fuira pas cette fois, mais n'ira pas l'affronter non plus. Il fait semblant de s'intéresser à autre chose, quelqu'un d'autre, il demande son chemin à une femme, et la petite brune passe devant lui sans le regarder ou le reconnaître. Ouf. Il n'aime pas recroiser ses anciennes conquètes. C'est toujours la promesse d'une baffe, d'un reproche, ou d'un sourire mielleux destiné à le reconquérir. Pourquoi sont-elles si crédules ? Lui il ne veut pas s'accrocher. D'accord il ne le dit pas, même il dit le contraire, mais ce n'est que pour les attirer. Bon c'est vrai qu'a elle il ne lui avait rien promis. Peut être ne se souvient t-elle plus de lui. Il a une bonne mémoire, et elle, ca ne date que d'une semaine, alors il sait. Elle s'appelle Sofi, et elle bosse dans une librairie. Mais elle ne fait surement pas que ça. Il ne connait pas son age, mais elle avait l'air si jeune et innocente. L'air.

Pan. Les livres volent, s'écrasent, tombent. Elle se baisse, pas lui. Il lève les yeux au ciel. Non, il n'a pas fait exprès pour une fois. Elle se relève, ses affaires dans les bras, et elle le regarde. Il espère qu'elle ne sait plus qui il est. « Excusez-moi » gromelle t-il en faisant un pas pour la contourner. S'il vous plait qu'elle ne se souvienne pas. Et Seth s'en va, l'ignore, comme s'il ne l'avait jamais rencontrée dans un bar ou la musique était trop forte, comme s'il ne l'avait jamais observée par delà une vitrine, comme s'il n'avait jamais couché avec elle. C'était une partenaire comme une autre, basta. C'était une seule nuit, et puis elle est très jeune pour lui, cela ne lui aurait pas plu, à L. Il croise les doigts pour qu'elle ne l'interpelle pas, que son prénom ne s'échappe pas de sa bouche étonnée ou réjouie. Ils ne sont que deux inconnus l'un pour l'autre. Qui ont passé une nuit ensemble certes, mais c'est tout. Alors il reprend confiance et avance dans la rue. Ils ne sont que des inconnus. .