un. les femmes sjöström sont blondes, et non rousses. enfin, plus depuis que maman est entrée dans la famille. elle, ta petite soeur, toi, vous êtes venues au monde avec des perles bleus pour yeux et des fils d'or pour cheveux. mais bien sûr, ta différence tu ne l'aimais pas. tu avais beau te fondre dans la masse finnoise, toi ce que tu voulais c'était être une sjöström. comme ton père. comme tes trois frères. une vraie de vrai. alors à huit ans, tu as réussi à troquer le blond resplendissant pour le rouge flamboyant. une volonté incomprise des autres - aussitôt la cible des jugements. ☢ deux. mikael enfant de l'hiver. mikael chérubin dans la blanche terre. mikael qui poursuit les flocons. mikael qui s'abandonne au froid furibond. mikael qui se laisse aller. mikael qui croit pouvoir rêver. happée par le vide, prisonnière d'un chaos sans nom ni visage. tout ce dont tu te souviens, c'est une voix. grave mais tendre, qui t'ordonne de ne plus lutter. une voix qui se tue six heures plus tard, muette sous les sirènes de la police, muette face aux menaces des uniformes, morte par le regard assassin de papa. fini le hockey, fini la finlande. la neige qui te terrifie, les hommes qui te pétrifient. maman, maman, j'veux pas être une fille. fini le hockey, fini la finlande. petit ange gardé, à quinze ans parti pour les états-unis. nouvel abri, nouveaux amis, nouvelle vie. ☢ trois. l'anglais maladroit, l'accent encore bien là. les autres que te clouent alors au silence, qui finalement te définissent comme une fille étrange: de ceux qui s'assoient avec eux-mêmes au self, de ceux qui travaillent sans jamais lever la tête, de ceux qui n'osent jamais se mettre en avant, de ceux qui détournent le regard ou baisse les yeux quand l'embarras les prend, de ceux qu'on choisit par défaut en sport, de ceux qui s'intéressent aux autres seulement si quelque chose attire leur attention, de ceux qu'on sort difficilement de leurs pensées, de ceux qu'on oublie d'inviter aux soirées, de ceux qui sourient sans trop savoir ce que ça signifie. le genre de personne qu'on ne cerne pas vraiment par faute d'intérêt ou de temps. ☢ quatre. à dix-huit ans, ou on rêve d'ailleurs, ou on rêve de rien. à dix-sept ans, ou on écoute ses potes, ou on écoute son copain. à dix-huit ans, ou on décide de travailler aujourd'hui, ou on décide te travailler le lendemain. à dix-huit ans, ou on se projette pas du tout, ou on se projette loin. à tes dix-huit ans, les mots que tu n'as jamais prononcés, les cauchemars que tu n'as jamais déclarés, les souvenirs que tu n'as jamais vraiment oubliés, les fantômes que tu n'as jamais chassés, tout ce bordel que tu trimbales chaque jour dans ton cerveau de môme, aujourd'hui il te crache à la figure. je ne resterai plus là dedans. maladie diluée par tes névroses comme l'aquarelle sous la rosée. le monstre invisible qui grignote silencieusement ta vie depuis un moment déjà. qui te voles ton souffle, ta force, ta faim, ton poids sans que tu ne t'en plaignes, sans qu'on ne s'inquiète pour toi. et tu ne sais même plus pas pourquoi. un homme. tu ne veux pas savoir. seul, là. comme ça, personne ne te questionnera. dans la neige. pas même toi. le déclic. au pire, au pire: on verra. cancer, cancer, quand c'est que tu cesses tes avances? ☢ cinq. tu te forces à tout. pour qu'on ne te confonde pas avec un fantôme, une anorexique ou un mort-vivant. tu te forces à manger régulièrement, à te déplacer à pied, à te pointer dès qu'il y a un rayon de soleil qui se perd dans la mêlée.. et quand t'as l'impression de recracher ta trachée ou de vomir tes poumons, tu fais toujours ton maximum pour étouffer le moindre son. quitte à avoir le sang qui monte aux joues et exploser. et même si tu continues à t'enfoncer dans tes mensonges, quelques recherches sur le net suffisent amplement pour te sortir de tes bêtises, ou du moins te ramener à la réalité. tu vas crever mikael, tu vas crever. dépérir sur le bas côté pour ne pas avoir appelé; toi qui as peur des autres, peur de leurs réactions, peur de leurs mots et actions. c'que t'es con mikael, c'que t'es con. ☢ six. tes seules solutions: envy, la musique et les manifestations. le cocktail molotov qui te maintenait en vie. mais depuis que ton étoile s'est éteinte, que ta voix ne porte plus et que ton corps ne te suis plus, c'est le chaos. et tu pleures la nuit - des torrents qui se transforment en des infinités d'océans. tu ne dors plus vraiment non plus. les pas dans la neige, les grands sapins noirs et ces grandes mains qui te secouent, te prenant pour un réveil déréglé, pété. le tout qui disparaît dans les flammes et les cris. et les pas qui résonnent, et les silhouettes qui s'envolent. la fumée qui vient violemment ronger ta poitrine, le souffle qui vient à manquer. et de l'autre côté - de l'autre côté, envy qui devient prisonnière de cet enfer. et tu halètes, tu halètes, tu crises, tu expires, ne sais plus où donner de la tête. la mélodie qui fond, les révolutionnaires qui se dissolvent. et tes mains qui t'étranglent presque, et tes larmes qui noient le monde autour de toi. cette nuit-là, alors que tu étais déjà sous son joug, la mort s'était accaparée la vie d'une autre. pas n'importe laquelle; celle du soleil. ☢ sept. mais tu continues de lever le poing, d'user tes cordes vocales, d'exprimer ton mal. non pas celui qui te clouera définitivement au sol, mais celui qui a confondu ton cœur avec un roc. hymnes, pancartes, campagnes - pour les uns, pour les autres, pour les morts, ceux qui vivent et vivront. pour changer le monde - le rêve idiot. pour marquer les esprits, marquer les consciences. dire tout haut ce qu'on tend à nier. tout pour les autres, tout pour envy, tout pour ta petite sœur. qu'elle puisse vivre une vie meilleure - une vie que tu n'aurais jamais été capable de vivre. ☢ huit. teddy. c'est son surnom. la troisième blondie de la maison. celle qui te regarde avec des lumières dans les yeux, qui retranscrit ses péripéties sur la jolie page raturée que tu es, qui à chaque fois qu'elle te voit te martèle de câlins et de baisers. l’aîné qui se doit d'assumer ses responsabilités envers ses cadets. c'est ce qu'ont fait (et continue de faire) tes grands frères, et tu faisais exactement la même chose pour la mésange de la famille. être son épée et son bouclier, son refuge et rocher. un statut que tu crains de laisser tomber, une mission que tu crains de laisser inachevée. ☢ neuf. sinon des copains tu n'en as jamais eu. plus des copines, où l'amitié vire vers l'ambigu. parce qu'on dit que les rousses ont une libido plus développée, on s'amuse en soirée: des roulages de pelle et des caresses bien placées, jamais rien de trop poussé. parce que voilà, lorsqu'un gars te fait des avances, tu dévies. tu fuis. t'as facilement le trac, tu te braques. pas besoin de trop creuser pour deviner que chez toi ça va pas. pourtant, t'en as envie. tellement. on attend désespérément celui qui fera battre notre cœur plus grand. même que t'en rêves souvent, et que ça tourne toujours en quelque chose d'inquiétant - traumatisant. ☢ dix. récemment dans ton sac à dos, en plus de ton bric à brac routinier, tu tiens un cahier. une sorte de journal pour futurs décédés. tu le pollues de toutes tes pensées, y notes tes états de santé, y confies tes goal life à réaliser, au cas où t'y passerais. du coup, tu as tendance à moins te focaliser sur le superficiel, à te faire de plus en plus remarquer à force de sécher ou d'arriver après que tes cours aient commencé. en ce moment, t'essaies même de t'ouvrir aux autres, t'essaies de te surpasser, de tout sublimer.